Histoire
Mais que sont devenus les allemans ?
Les jeunes générations qui chercheraient sur une carte des environs de Pamiers un lieu-dit portant ce nom en seraient pour leurs frais. Mais les anciens, eux, se souviennent que, jusqu’à une époque assez récente, le village des « Allemans » existait bel et bien. Par quel mystère s’est-il évaporé ? Cela mérite quelques explications et, d’abord…
Nous sommes en l’an 496 en Germanie, près de Cologne, à Tolbiac. Deux farouches tribus barbares vont en découdre. D’un côté, les Francs ripuaires, emmenés par Clovis non encore converti au catholicisme. De l’autre, les Alamans, tribus germaniques installées sur la rive droite du Rhin. Comme toujours, la bataille est féroce ; Clovis écrase les Alamans. Tandis que Clovis fête son succès en se faisant baptiser à Reims par l’évêque Rémi avec 3 000 de ses guerriers, les Alamans se dispersent jusqu’aux marches de la Suisse et de la Bourgogne.
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Nous les retrouvons quelque 700 ans plus tard, en 1208, quand le pape Innocent III charge Simon de Montfort d’aller « nettoyer » l’hérésie cathare dans tout le Sud du pays et, accessoirement et malgré les réticences de Philippe Auguste, de s’emparer des terres des seigneurs occitans coupables de tolérance ou de sympathie envers les cathares. C’est la croisade contre les « Albigeois ». Montfort met sur pied, à Lyon, une formidable armée (les Croisés), au sein de laquelle figure un fort contingent de mercenaires alamans (ou Allemans). Passons sur les désastres, les massacres et les atrocités de cette guerre de conquête qui ravage le Midi cathare jusqu’à la chute de Montségur en 1244, pour nous retrouver dans ce qui est aujourd’hui notre département de l’Ariège.
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En juin 1212, avec ses troupes, Simon de Montfort , excédé par la résistance de Raymond VI comte de Toulouse et les attaques répétées menées par Roger-Bernard de Foix, emploie les grands moyens pour mettre au pas tout le sud toulousain : moissons incendiées, cultures ravagées, vignes arrachées, arbres fruitiers saccagés, la barbarie, quoi ! En même temps, soucieux de préserver ses conquêtes dans la basse vallée de l’Ariège, il fait venir en hâte de Carcassonne un corps de mercenaires allemans avec pour mission de reprendre Saverdun et d’assurer la sécurité de Pamiers.
Après avoir, le 1er décembre 1212, promulgué les 46 articles des statuts de Pamiers qui consacrent ce qu’il faut bien appeler la colonisation des fiefs occitans, Montfort part en 1213 guerroyer sous d’autres cieux avant de trouver la mort sous les murs de Toulouse.
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Mais les Allemans, eux, sont restés sur les bords du Crieu, affluent de l’Ariège, où ils installent un important campement qu’ils vont occuper pendant une année. Après la défaite des « Albigeois », un certain nombre d’entre eux, se trouvant privés d’emploi, reviennent s’installer au même endroit pour exploiter les forêts d’alentour. Ils vont faire souche et fonder un bourg qui s’appellera d’abord « Alamani », puis « Les Allemans ». Il faut attendre l’an 1250 pour trouver une première mention de ce village sous cette dénomination, quand se règle un différend entre l’abbaye Boulbonne, sise à Mazères, et l’abbaye Saint- Antonin de Pamiers.
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En 1308, un accord de paréage intervient entre Bernard de Saisset, évêque de Pamiers et le roi de France Philippe IV. Une viguerie royale, dépendant de la sénéchaussée de Carcassonne, est installée aux Allemans. A trente-quatre reprises, les tribunaux de l’Inquisition siègent dans ce village ; les indigènes soupçonnés ou convaincus d’hérésie vont faire connaissance avec les prisons installées dans la tour du château.
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Et la vie suivra son cours, jusqu’au jour où …
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… cette tour entre à nouveau en scène …
… quelque 700 ans après l’arrivée des premiers Allemans.
Nous sommes le 3 août 1914, quand débute la terrible boucherie qui va saigner à blanc la France rurale et au cours de la quelle trente-trois Allemanais vont tomber dans les tranchées de Picardie, d’Argonne ou de Champagne, face aux Allemands.
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A ce moment-là, neuf cités en France portaient un nom similaire : Allemant (Aisne), Allemant (Marne), Allemans (Dordogne), Allemagne (Basses-Alpes), Allemans du Drop (Lot et Garonne), Allemagne (Calvados), Allemand- Rombach (Haut-Rhin), Les Allemans (Doubs), Les Allemans (Ariège).
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Si les cinq premières ont conservé leur appellation, les quatre autres ont changé de nom au cours de cette guerre, très rapidement pour nos Allemans à nous. En effet, dès le 16 août 1914, soit deux semaines après le déclenchement du conflit, le maire de ce village ne peut plus souffrir ce nom maudit et honni qui désigne l’ennemi héréditaire ayant occupé notre pays en 1870-71, ayant enlevé à la France l’Alsace et la Lorraine, et revenant sur notre sol.
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Il propose au Conseil municipal de donner au village soit le nom de Saint-Paul de Crieu, qui est le saint patron de l’église, ou mieux, le nom de La Tour-du-Crieu, pour rappeler cette tour qui servit de prison et dont il reste des vestiges. Ce qui, on en conviendra, n’est pas forcément du plus heureux effet. Cependant, et c’est là l’essentiel, cette proposition est accueillie avec enthousiasme par la population. Le 5 octobre suivant, le Conseil général de l’Ariège entérine la décision municipale et, le 14 octobre 1915, le Journal Officiel publie le décret, signé du Président de la république Raymond Poincaré, portant création de La Tour-du-Crieu.
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La déclaration au Journal officiel en PDF
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Il faudra toutefois attendre de longues années, après une autre guerre contre les mêmes Allemands, pour que s’efface de la mémoire collective le village des Allemans. Jusque dans les années 50, il n’était pas rare d’entendre dire « m’en vau als Allemans ».
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Et puis, il existe encore, dans ce village de La Tour-du-Crieu, jouxtant l’ancien château, une rue des Alamans.
Comme un regret ?
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